Accélérer la réduction de la pauvreté en Afrique subsaharienne passe par la stabilité
PAR JOHANNES HOOGEVEENJOHAN A. MISTIAENHAOYU WU, World Bank, 06 MARS 2024
La pauvreté dans le monde a connu une baisse drastique au cours des 30 dernières années, entrainée par un fort rattrapage de croissance dans les pays en développement, particulièrement en Asie. En 1990, le nombre de personnes vivant sous le seuil d'extrême pauvreté de 2,15 dollars par jour dépassait 1,6 milliard d'habitants en Asie. En 2019, ce chiffre avait chuté à 221 millions. À l'échelle mondiale, sur la même période, 1,3 milliard de personnes sont sorties de l'extrême pauvreté.
Les avancées en matière de réduction de la pauvreté mondiale ont été largement entrainées par la Chine et l'Inde, dont la forte croissance économique a permis une baisse rapide de la pauvreté. Dans d'autres régions du monde, les tendances en matière de réduction de la pauvreté ont été plus décevantes. En Amérique latine, la pauvreté a reculé de façon beaucoup plus graduelle, tandis qu'au Moyen-Orient et en Afrique du Nord elle a baissé jusqu'en 2013, date à laquelle elle a de nouveau augmenté, en raison des conflits qui ont suivi le Printemps arabe et d'une croissance économique atone.
L'Afrique subsaharienne a connu une lente croissance économique par habitant, un déclin très lent de l'incidence de la pauvreté, parallèlement à une augmentation constante du nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté. Par conséquent, l'extrême pauvreté se concentre de plus en plus dans la région. En 1990, 14 % des personnes vulnérables dans le monde vivaient en Afrique, en 2019, 57 % d’entre elles dans le monde vivaient en Afrique subsaharienne.
Si l'on se réfère à l'exemple asiatique, une évidence semble s'imposer : pour atteindre l'objectif d'éradiquer la pauvreté, il est indispensable d'accélérer la croissance économique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et plus encore en Afrique subsaharienne.
En Afrique subsaharienne, la pauvreté se concentre de plus en plus dans les États fragiles et affectés par les conflits (EFC). En 2019, 50 % des pauvres vivaient dans des EFC. En 2030, on estime que les deux tiers des pauvres à l'échelle mondiale vivront dans des EFC (Corral et al. 2019). Et ce alors que les EFC ne représentent aujourd'hui que 6 % de la population mondiale, bien que ce pourcentage soit en évolution avec l'augmentation du nombre de pays affectés par la fragilité.
La conjonction de la fragilité et du fait de vivre en Afrique subsaharienne revêt une très grande importance, comme l'illustre le constat que les 43 pays avec les plus hauts taux de pauvreté en 2019 étaient soit des EFC soit en Afrique subsaharienne.
La croissance économique repose sur la stabilité, et le fait que la Chine et l'Inde connaissent la stabilité depuis 30 ans peut facilement être tenu pour acquis.
L'impact déterminant de la stabilité sur les progrès en matière de réduction de la pauvreté est illustré dans le graphique ci-dessous, qui concerne l'Afrique de l'Ouest et du Centre. Les pays qui sont parvenus à éviter la fragilité (le Bénin, Cabo Verde, le Gabon, le Ghana, La Guinée équatoriale et le Sénégal) ont réussi à réduire progressivement la pauvreté. Si on les compare à des pays qui sont actuellement fragiles, ou qui ont connu des épisodes de fragilités, les pays stables ont pu réduire la pauvreté de 15 à 20 points de pourcentage supplémentaires.
Il faut par ailleurs noter que la stabilité va au-delà de la capacité à maintenir la paix. La viabilité macro-budgétaire et de la dette sont également essentielles, comme en témoigne malheureusement le cas du Ghana qui a récemment fait défaut sur sa dette extérieure. Le taux de pauvreté (à 2,15 dollars) y a augmenté, passant de 25 % en 2020 à 33 % en 2023.
Les implications sont claires. Les progrès à venir en matière de réduction de la pauvreté dépendront de plus en plus de la capacité d'assurer la stabilité, du fait que la stabilité constitue une condition préalable à la croissance et à la réduction de la pauvreté. Dans un monde de plus en plus affecté par les conflits et l'instabilité, et dans un contexte de surendettement croissant, ce constat donne à réfléchir et représente une mauvaise nouvelle en ce qui concerne la capacité pour la communauté internationale d'éradiquer la pauvreté dans un avenir proche.
Auteurs
Johannes Hoogeveen: Responsable mondial pour les États fragiles et touchés par un conflit
Johan A. Mistiaen: Chef de la division du pôle Pauvreté et équité de la Banque mondiale
Haoyu Wu: économiste au pôle Pauvreté et équité de la Banque mondiale