Aux racines de la violence des colons israéliens
International Crisis Group, 06 septembre 2024
Les violences des colons israéliens contre les Palestiniens en Cisjordanie sont en augmentation, notamment depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel gouvernement israélien et l’attaque du Hamas en octobre 2023. Les pays occidentaux devraient user de leur influence sur Israël pour contribuer à contenir ce danger.
Que se passe-t-il ? La guerre dévastatrice d’Israël contre le Hamas à Gaza a occulté à certains égards la violence systémique et croissante des colons israéliens contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée. Les colons agissent de plus en plus de concert avec l’armée ou portent eux-mêmes des uniformes militaires. Ils bénéficient du soutien actif des ministres d’extrême droite du gouvernement israélien.
En quoi est-ce significatif ? La violence des colons, restée incontrôlée depuis des années, est à la fois une manifestation et un moteur de l’entreprise de colonisation israélienne. Quelque 730 000 Israéliens vivent aujourd’hui dans des colonies de Cisjordanie (y compris à Jérusalem-Est), rendant la perspective d’un règlement du conflit de plus en plus lointaine.
Comment agir ? Les puissances extérieures investies dans la résolution du conflit israélo-palestinien devraient sanctionner les colons violents, comme certains pays occidentaux ont commencé à le faire, et les dirigeants qui encouragent la violence. Elles devraient limiter les ventes d’armes utilisées pour défendre les colonies et faire payer au gouvernement israélien le prix du projet de colonisation et de son incapacité à endiguer la violence des colons.
Synthèse
La violence des colons israéliens – une expression désignant la manière dont les Israéliens vivant en Cisjordanie occupée terrorisent, blessent et parfois tuent des Palestiniens et détruisent leurs biens – n’a jamais été aussi forte. Pendant des décennies, les gouvernements israéliens ont échoué à maîtriser cette violence, préférant souvent fermer les yeux. Mais la situation s’est considérablement aggravée depuis la fin de l’année 2022, d’abord avec l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Benyamin Nétanyahou, puis après l’attaque, le 7 octobre 2023, du Hamas contre les communautés israéliennes vivant près de Gaza. Alors que le gouvernement israélien accélère son projet de colonisation, les ministres proches des partisans de la ligne dure encouragent ouvertement les attaques contre les Palestiniens.
Les sanctions imposées par les Etats-Unis et les pays européens contre certains colons violents constituent un premier pas pour endiguer ces violences, mais elles ne tiennent pas compte du fait qu’une grande partie de la responsabilité de la situation actuelle incombe à l’Etat israélien. Les pays occidentaux devraient moduler leur aide militaire et leurs relations économiques avec Israël afin de rendre le projet d’expansion des colonies et la violence des colons – qui vont à l’encontre de leur propre ligne politique et rendent de vastes parties de la Cisjordanie de plus en plus invivables pour les Palestiniens – plus coûteux pour le pays.
Depuis la guerre de 1967, qui l’a vu s’emparer de la Cisjordanie, Israël exerce un contrôle militaire sur la population palestinienne et procède à des expropriations de plus en plus fréquentes de Palestiniens. Aujourd’hui, quelque 230 000 Israéliens vivent à Jérusalem-Est et environ 500 000 résident dans le reste de la Cisjordanie – deux territoires internationalement reconnus comme occupés. Les institutions israéliennes, en particulier la Cour suprême, et les gouvernements israéliens – notamment celui d’Yitzhak Rabin au milieu des années 1990 – ont parfois pris des décisions ou adopté des politiques visant à limiter la colonisation.
Mais la réalité est sans appel : au fil des décennies, les gouvernements israéliens successifs ont permis ou encouragé une occupation durable de la Cisjordanie, favorisée par l’arrivée d’un nombre toujours plus important de colons. Si les dirigeants israéliens ont le plus souvent invoqué des enjeux sécuritaires pour justifier l’implantation de colonies, ils ont aussi parfois adhéré à l’idéologie qui sous-tend l’annexion de ces territoires. Sous le gouvernement de Nétanyahou – avant même l’attaque du Hamas du 7 octobre – les terres saisies en Cisjordanie ont augmenté de façon spectaculaire.
La violence des colons à l’encontre des Palestiniens, qui accompagne depuis des décennies l’expansion des colonies, s’est également intensifiée ces dernières années. Ces actes sont souvent perpétrés par des groupes de jeunes hommes armés et vont du harcèlement à l’intimidation verbale en passant par le vol de bétail. Ils se soldent également par des agressions. Les colons israéliens, par exemple, se livrent à des déracinements d’oliviers appartenant à des agriculteurs palestiniens et leur refusent l’accès aux terres et à l’eau. La violence est parfois motivée par un désir de vengeance : si des colons israéliens sont blessés lors d’une attaque palestinienne en Cisjordanie, les colons ripostent. Ainsi, par deux fois en 2023,
lorsque des Palestiniens ont abattu par balle des Israéliens, des colons se sont soulevés dans les villages cisjordaniens de Huwara et de Turmus Aya. Ils y ont détruit des biens, terrorisé les habitants, et se sont battus avec des Palestiniens, bien qu’il n’y ait aucun lien évident entre ces deux villages et les fusillades. Si certaines violences relèvent donc de représailles, la plupart visent néanmoins à priver les Palestiniens de leurs biens, à étendre les colonies et à anéantir tout espoir de création d’un Etat palestinien.
L’attaque du 7 octobre et la guerre à Gaza ont encore aggravé les tensions. Alors que le gouvernement israélien d’extrême droite est déterminé à étendre le contrôle israélien sur la Cisjordanie, l’armée a lancé une campagne de recrutement et a fourni aux colons des armes et des uniformes pour protéger, en tant que réservistes, leurs communautés. Au cours de l’année écoulée, les colons ont saisi des milliers d’hectares de terres aux Palestiniens de Cisjordanie. Depuis le 7 octobre, on dénombre plus de 1 000 incidents impliquant la violence de colons israéliens, et plus de 1 300 Palestiniens ont été chassés de chez eux.
Les institutions israéliennes ont largement échoué à maîtriser les colons. Les services de sécurité traditionnels se montrent de plus en plus critiques à l’égard de ces violences, conscients que ces actes et l’influence de l’extrême droite alimentent l’instabilité en Cisjordanie et pèsent sur les relations entre Israël et Washington. Les soldats s’interposent parfois entre les colons et les Palestiniens et peuvent eux-mêmes faire l’objet d’attaques par des colons radicaux. Dans l’ensemble, cependant, les militaires, comme les policiers chargés d’enquêter sur les crimes commis par les colons, estiment que leur obligation première est de protéger les intérêts des Israéliens juifs et ce qu’ils considèrent comme la sécurité d’Israël – un impératif auquel les tribunaux se réfèrent invariablement. Il est en effet rare que les colons violents soient condamnés.
La violence des colons n’est pas non plus le fait de quelques « brebis galeuses », comme ont tendance à le décrire les responsables politiques centristes. A mesure que l’armée et la société israélienne glissent vers la droite, il est de plus en plus fréquent de voir des soldats et des colons agir à l’unisson. Les colons radicaux, autrefois en marge de la politique israélienne, occupent aujourd’hui des postes qui leur confèrent un pouvoir sur les affaires de la Cisjordanie. Ils cautionnent la violence, qu’ils présentent comme un acte de légitime défense dans une lutte pour des terres auxquelles, selon eux, Israël a droit.
Cette flambée de violence a conduit les gouvernements occidentaux à sanctionner certains colons. Dans un décret du 1er février, l’administration Biden a créé un cadre permettant de désigner les personnes et les entités devant faire l’objet de sanctions. A ce jour, la liste comprend 24 personnes et entités. Les capitales européennes et l’Union européenne ont emboîté le pas des Etats-Unis. En prenant de telles mesures, les pays occidentaux sont allés plus loin qu’ils n’étaient disposés à le faire dans le passé, signalant ainsi aux responsables israéliens que la violence des colons constitue un problème grave qui nécessite d’être réglé rapidement.
Néanmoins, sanctionner des individus revient à occulter le cœur du problème. Cela renforce l’idée qu’un petit nombre d’extrémistes agit en dehors de la sphère de compétence de l’Etat et cela dédouane le gouvernement israélien de ses responsabilités. Les capitales occidentales, dont la plupart reconnaissent que les colonies enfreignent le droit international, devraient aller plus loin. Les Etats-Unis pourraient appliquer leur propre législation déjà en vigueur, par exemple en cessant de fournir de l’aide aux unités militaires israéliennes dont les Etats-Unis savent qu’elles ont commis des violations graves des droits humains. Les gouvernements européens pourraient mieux appliquer les règles commerciales régissant les produits israéliens fabriqués dans les colonies de Cisjordanie ou interdire complètement le commerce de ces biens.
Les Etats-Unis et l’Europe pourraient envisager de sanctionner les ministres d’extrême droite qui encouragent la violence des colons, une mesure politiquement difficile à prendre mais qui permettrait de situer clairement les responsabilités. De telles initiatives n’obligeront pas nécessairement Israël à changer de cap, mais elles feraient payer au gouvernement le prix de son incapacité à endiguer la violence des colons. Elles pourraient aussi mettre fin à l’impunité qui a contribué à renforcer l’extrême droite israélienne au cours des dernières décennies.
Depuis octobre 2023, la situation en Cisjordanie est passée quelque peu au second plan en raison de la guerre et de la catastrophe humanitaire à Gaza, des échanges de tirs à la frontière israélo-libanaise et des craintes d’une guerre plus vaste au Moyen-Orient. Pourtant, l’expansion des colonies et la violence des colons en Cisjordanie alimentent le militantisme palestinien et le risque d’une flambée de violence encore plus importante. Les puissances occidentales semblent réticentes à prendre des mesures plus fermes.
Aux Etats-Unis, en particulier, tout changement de politique pourrait devoir attendre les élections de novembre prochain et les contours d’une nouvelle ligne dépendront vraisemblablement du résultat de ce scrutin. Les capitales européennes sont, pour leur part, divisées sur la manière de réagir. Pourtant, les appels répétés des dirigeants occidentaux en faveur d’une solution au conflit israélo-palestinien fondée sur deux Etats continueront à sonner creux si des mesures plus fermes ne sont pas prises pour freiner l’expansion des colonies qui sapent tout espoir de création d’un Etat palestinien.
Jérusalem/Tel Aviv/Ramallah/Washington/Bruxelles, 06 septembre 2024
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